Pétrole et gaz : Lorsque le président Macky sall se substitue à la loi sur le contenu local.

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Il y a quelques jours, la presse nous informait de la décision du président Macky Sall de mettre fin à l’appel d’offre de sélection de la société pour la  concession de la plateforme logistique pétrolière au port de Dakar. Clôturé depuis Novembre, cet appel d’offre mettait en compétition 7 consortiums. Mais, voilà que subitement, le président de la République aurait décidé d’y mettre fin en demandant à des sociétés du secteur privé national de se constituer en consortium pour qu’il leur donne la concession sans appel d’offre, sans aucune justification.  De la même manière qu’il offrait les grands contrats aux étrangers, il le fera avec le privé local.

Cette approche a été applaudie par certains patrons du secteur privé comme Baidy Agne. Certains citoyens pourraient aussi trouver dans ce geste la preuve d’un patriotisme naissant. Mais, elle pose problème et illustre le drame congénital du pétrole sénégalais : tout ce qui se décide dans ce secteur procède de la décision d’un seul homme : le président de la République.

Pourtant, il existe une loi sur le contenu local, votée et adoptée par l’assemblée nationale pour s’assurer que les sociétés du secteur privé national sont privilégiées dans les activités de soutien à l’exploitation pétrolière. La concession logistique  du port de Dakar ressort de ces activités de soutien. L’appel d’offre pour la sélection de l’attributaire de cette concession a été lancé par le port de Dakar dans le cadre de la loi sur le contenu local en novembre 2019. Elle garantit que l’attribution ira à une société de droit sénégalais, majoritairement composée de capitaux nationaux et sociétés locales. Par conséquent, elle rend superflue l’intervention du président de la République pour s’assurer que le business ira à notre secteur privé national.

Si on admet que le président puisse décider comme il veut  de l’attribution de tous les contrats dans ce secteur, sans justification et alors que la loi sur le contenu local lui enlève justement ce privilège et organise le processus, il faut en conclure que ce secteur n’est rien d’autre que son business d’Etat personnel. Il décide et donne comme  il veut, quand il veut, pour les raisons qui lui semblent appropriées, pour lui.

Rappelons que la loi sur le contenu local n’a pas pour vocation d’organiser des marchés de gré à gré aux nationaux ou de supprimer la rivalité entre eux. Elle a juste pour objet de les privilégier dans un processus compétitif qui garantit que l’attributaire est non seulement le meilleur mais aussi sénégalais.

Tout cela a été jeté à  la fenêtre après que le PAD ait engagé un processus régulier de sélection. Il a juste suffi que les intérêts du président changent.  Son intervention est indicative soit d’une mauvaise loi du contenu local ou alors nos autorités n’en ont cure et préfèrent une gestion personnelle de l’attribution des contrats sur le pétrole.

La décision du président de la République fait aussi désordre puisqu’il demande aux entreprises du secteur privé national de se mettre en ensemble pour former un consortium pour ensuite aller chercher un partenaire stratégique. Sur quelle base quelques entreprises peuvent décider de se mettre ensemble, d’exclure certaines et de coopter d’autres sinon que sur la base d’accointances, de lobbys, réseaux et trafic d’influence avec la complicité des autorités. Le président, le ministre et les directeurs vont abriter le partage du gâteau au gré de leurs intérêts. Les entreprises concernées ne manqueront pas de les soudoyer, de leur proposer de devenir actionnaire clandestin ou d’y associer des prête-noms pour avoir une place enviable.

Du reste, comment exclure de ce consortium une société qui voudrait rejoindre ce consortium. Des sociétés privées peuvent-elles juste décider que vous ne les arrangez pas et vous refuser l’entrée dans ce consortium.Ainsi, du jour au lendemain, tous les principes et vertus de la compétition sont écrasés par la décision du Président Macky Sall. En si bon chemin, pourquoi ne pas demander aux sociétés locales de construction des routes de se partager les marchés publics entre elles, sans processus compétitif ou de se mettre ensemble sous un consortium pour prendre tous les marchés de l’Etat, toujours sans appels d’offre.

Du reste, si le président décide de mettre en place un consortium chargé de la concession pétrolière, sous forme d’une société juridique dotée d’un actionnariat, alors ce modèle n’a pas besoin d’être limité à quelques entreprises du secteur privé. Pourquoi réserver cet actionnariat à quelques entreprises du secteur privé qui vont aller voir leurs banques avec le projet de contrat de concession pour lever une partie des fonds et laisser l’exploitation à un opérateur dédié.  En effet, cet actionnariat ne sera qu’une position de rente, une forme injuste de partage des bénéfices du pétrole en excluant tous les sénégalais qui pourraient être intéressés à acheter des actions de la société concessionnaire. D’ailleurs, de ce point de vue,  un actionnariat public  sur une société d’exploitation logistique pétrolière aurait l’immense bénéfice de lui donner des ressources en capital si importantes qu’elle pourrait développer des projets logistiques plus ambitieux sur toute  la chaîne de production, transformation, distribution du pétrole et gaz.  Les quelques sociétés du secteur privé auxquelles le président de la République va donner la concession, se contenteront elles d’un investissement minimal pour bénéficier de la rente qui sera issue de la concession.

De surcroît, dans les circonstances d’attribution non concurrentielles comme celles que vient de décider le président de la République, il est évident que les conditions financières seront négociées avec le chef de l’Etat et les autorités chargées du dossier pour  bénéficier de conditions financieres qui leur procurent une  marge confortable, redevances et commissions inclues pour les hautes autorités. C’est cela  la nature du monopole qu’ils auront créé par ce consortium de sociétés. Ces sociétés ne seront pas plus efficaces. Elles se comporteront comme les vaches à lait classiques de l’Etat comme la Senelec. Les sénégalais dans leur majorité, n’en gagneront rien. Le bon modèle aurait été de laisser se dérouler la compétition pour choisir la meilleure offre du consortium national ou alors  mettre en place une société à capitaux publics, dans laquelle chacun pourrait souscrire des actions. Même Petrosen Aval aurait pu aller dans ce sens aussi, en ouvrant son capital au public pour devenir une grande chaîne de distribution sur le plan régional.

Cette décision du président illustre encore tout simplement que le pétrole et le gaz sont donnés comme des petits pains selon ses intérêts politiques et non l’intérêt général. Aucune réflexion sur les modèles appropriés n’est menée. Seul compte ce que dit le président.

Le pétrole et le gaz appartiennent aux sénégalais, pas à l’Etat du Sénégal. Cette différence n’est pas encore très claire dans la tête de ceux qui ont inscrit ce principe dans la constitution. Les choix de gestion qui découlent de ces ressources ne peuvent juste se limiter à un partage entre des autorités politiques et des sociétés du secteur privé national ou international, en dehors de tout mécanisme qui garantit la prise en compte de l’intérêt général, l’amélioration de la productivité générale et le bien-être de toutes les couches du pays.

Se pose finalement la question de savoir quel est l’intérêt du président de la République à offrir une concession par sa seule décision au secteur privé national, en dépit de la loi sur le contenu local et  en total manque de respect du processus déjà engagé par le Port de Dakar ? Seul lui, peut le dire de manière certaine.  Mais, la réponse à cette question est la même qui répond au pourquoi de ses décisions personnelles d’offrir des grands projets par centaines de milliards à des investisseurs étrangers. C’est la même qui répond au pourquoi il a offert  un contrat d’exploration pétrolier à Total, en dépit du processus qui le classait en mauvaise position. C’est la même réponse qui explique pourquoi le président qui déclasse des centaines d’hectares aux dépens des populations et sans respecter le processus prévu par les textes. Le palais de la République est devenu depuis longtemps un Business Center,  un grand comptoir commercial de négociation des richesses du pays, en dépit des lois qui encadrent l’acces à ces richesses. Le président donne ces opportunités selon ses intérêts. Hier c’était avec le secteur privé international. Aujourd’hui, c’est avec le secteur privé national qui a fini de le présenter comme étant au service des  pays et investisseurs étrangers. Dans l’un comme dans l’autre, il court-circuite volontairement le dispositif régulier pour démontrer qu’il est l’alpha et l’oméga des affaires dans ce pays et qu’en dépit des lois en vigueur, il est celui qui donne et reprend, celui auquel doivent se plier les acteurs économiques. C’est juste une affaire de pouvoir et d’argent et encore de pouvoir et d’argent.  La loi, la réglementation, l’intérêt général, il n’en a cure. C’est lui  le président du Sénégal. L’or, le pétrole et le gaz, c’est aussi son business.




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